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Tourisme et développement durable : la réalité au-delà des chiffres

Tourisme et développement durable : la réalité au-delà des chiffres

Lors des assises nationales sur le tourisme sénégalais, tenues les 4 et 5 mars 2002 au Méridien-Président, le Président Abdoulaye Wade avait souhaité, à travers des études, de voir plus clairement ce que le tourisme rapporte réellement aux Sénégalais. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles une étude intitulée “ Impact du tourisme sur l’économie sénégalaise ” avait été commandée par le ministère du Tourisme, dont les conclusions ont été largement diffusées par la presse les samedi 19, dimanche 20 et lundi 21 avril 2003.

Cette étude est basée sur les résultats d’une enquête auprès des touristes venus visiter le Sénégal. Ainsi, deux sondages ont été effectués en novembre 2001 pour quinze (15) jours et en juillet 2002 pour également quinze (15) jours. Les résultats de cette enquête font état de 1.757 touristes en fin de séjour enquêtés au niveau de cinq (5) points de passage pendant quatre semaines ; 75.000 emplois crées ; 27,5 milliards de rentrées fiscales au Trésor public ; une production touristique estimée à 273 milliards CFA avec une valeur ajoutée de 140,2 milliards pour une participation au PIB courant de 4,6 % ; 4,5 millions de nuitées ; 32.400 F.CFA de dépense moyenne journalière pour une demande touristique évaluée à 145,5 milliards de francs CFA.

Cependant, note le rapport, l’insécurité qui règne dans la région de Ziguinchor n’a pas permis aux enquêteurs de couvrir entièrement cette zone ; ce qui constitue une véritable limite quand on sait que Ziguinchor reste la 3ème région touristique du pays (cf. les statistiques du ministère du Tourisme). Malgré la pertinence et l’opportunité de l’étude, il serait tout de même bon d’attirer l’attention du lecteur sur ces chiffres “ impressionnants ”, les limites de la méthode d’enquête utilisée et les résultats très approximatifs qu’elle donne.

Appelée méthode indirecte, elle est basée sur des enquêtes par sondage. D’ailleurs beaucoup de pays comme la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, l’Espagne, la Grèce, les Pays-Bas et le Portugal, bref les pays à grande vocation touristique ne l’utilisent plus. Ils préfèrent plutôt la méthode directe ou méthode bancaire (quoique plus onéreuse) qui fournit des informations plus transparentes. Cette étude d’impact du tourisme sur l’économie n’a pas pris en compte les coûts socio-économiques du secteur et qui ont un impact bien réel sur l’économie sénégalaise.

Dans une de nos contributions “ Tourisme : ce qu’il coûte aux Sénégalais ” parue dans les colonnes de “ Wal Fadjri ” des 8 et 10 mai 2002, nous avions énuméré douze (12) coûts socio-économiques à intégrer dans toute étude d’impact du tourisme sénégalais. Ce sont le coût des biens et des services, le coût foncier, le coût en capital, le coût de la dépendance économique, le coût social de l’emploi touristique, le coût budgétaire et fiscal, le coût des enclaves étrangères, le coût des effets de démonstration, le coût de la “larbinisation” et de la servitude, le coût de la perversion morale, le coût de l’acculturation et le coût de l’environnement Il est donc clair qu’il ne saurait être question de privilégier l’impact du tourisme sur l’économie en termes de gains seulement. Il est indispensable d’étudier aussi cet impact en termes de coûts si l’on veut faire de ce secteur un fer de lance de notre économie comme l’agriculture, la pêche, l’industrie, etc.

En réalité, le tourisme complète ou remplace d’autres activités économiques. Ses coûts et ses gains d’opportunité doivent être considérés en relation avec ceux des activités de complément et de remplacement En tout état de cause, pour atteindre les objectifs fixés de “ Sénégal 2020 : Un haut lieu de culture et de loisirs et une destination touristique de renommée internationale : 1.500.000 touristes ; 30.000 emplois crées ; 400 milliards d’investissement ”, le tourisme sénégalais doit être mieux planifié et doit s’intégrer dans une dynamique de développement durable.

Or la non-articulation des différentes études (le Plan Marketing du ministère du Tourisme réalisé en avril 1989, le Plan Stratégique de Développement Touristique du Sénégal en 1995, l’étude sur l’Elaboration de Stratégies et Plans d’Action des Grappes prioritaires : Grappe Tourisme-Industries Culturelles et Artisanat d’Art publiée en février 2001 , impact du tourisme sur l’économie sénégalaise en avril 2003) autour d’un programme à long terme de développement du secteur du tourisme au Sénégal et faisant l’objet de Plan d’Action Opérationnel bloquent l’atteinte des objectif spécifiques.

L’analyse des différentes études menées jusque-là dans le secteur du tourisme sénégalais pose surtout la problématique des projections chiffrées ; tantôt 1,5 million de touristes sont projetés pour 2010 ou pour 2020, tantôt 1,3 million pour 2010 ou 2013. On serait tenté de croire que l’on balance des chiffres à tort et à travers. Pourtant, en matière de prévision de la demande touristique, plusieurs méthodes scientifiques sont utilisées, notamment la méthode de Delphine, les modèles économétriques, les méthodes de régression multiple, les analyses des séries temporelles, etc.

Il devient de plus en plus clair que le développement du secteur du tourisme n’est bien planifié et que seule l’élaboration d’un Plan Marketing semble être une urgence, afin d’avoir un budget de promotion touristique taillé sur mesure, à l’image des ambitions des différents ministres pour justifier les nombreuses missions à l’étranger ; le Fonds de Promotion Touristique étant alors le bailleur de fond par excellence. Il faut cependant noter que la planification marketing n’est pas un exercice isolé. Elle s’insère dans la stratégie d’ensemble du secteur et doit à ce titre être compatible avec les orientations générales du gouvernement en matière de développement économique et social du pays.

Pour assurer cette dynamique, le secteur du tourisme doit faire l’objet d’une planification stratégique en intégrant cette approche systémique et être mis, à l’instar des autres secteurs comme la pêche, l’agriculture, l’industrie etc., sur les rails du développement durable, comme le souhaite si vivement le Président Abdoulaye Wade. Celui-ci lui assigne dans le NEPAD des objectifs à long terme dont les principaux sont : -repérer aux niveaux national et sous-régional les projets-clef pouvant avoir d’importants effets de percolation et contribuer à l’intégration économique interrégionale ; -créer une capacité de recherche sur le tourisme ; -promouvoir les partenariats semblables à ceux formés dans le cadre d’organes sous-régionaux tels que l’Organisation Régionale du Tourisme en Afrique Australe (RETOSA), la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la SADC.

La création récente d’un département de Tourisme à la commission de l’UEMOA semble être une réponse à la préoccupation du NEPAD pour le développement durable du tourisme international en Afrique En effet, le Sommet Mondial sur le Développement Durable tenu à Johannesburg du 26 août au 4 septembre 2002 avait pour objectif d’assurer la gestion du développement durable. Les préoccupations de celui-ci étaient la bonne gouvernance, la paix, la sécurité, pour une stabilité à long terme.

Le Rapport National du Sénégal, qui rend compte de la méthodologie de travail des membres de la commission durable axée sur la sécurité alimentaire, le triptyque population-santé-environnemnt, les infrastructures et le développement durable, n’a consacré que neuf (9) lignes au tourisme sénégalais. La stratégie dégagée à long terme pour le secteur du tourisme est lisible à la page 32 “ l’accroissement du nombre de touristes (plus de 20.000/an) consécutif au développement et à la qualité des structures d’accueil a provoqué une certaine pression sur les ressources naturelles notamment l’eau, l’énergie et la faune. Pour faire face à cette situation, le Sénégal a opté pour une réorientation de sa politique touristique à travers la promotion de l’éco-tourisme.

Sauf pour le tourisme, tous les secteurs et sous-secteurs, notamment la gestion des eaux, la sécurité alimentaire , l’énergie, l’éducation et la formation, la santé, population et environnement, le savoir traditionnel et les infrastructures de transport ont présenté chacun en annexe du Rapport leur Plan d’Action décliné en Plan d’Opération de deux à trois années avec les budgets nécessaires pour l’atteinte des objectifs visés. Par ailleurs, le secteur du tourisme s’est fait encore distinguer par l’absence de son plan d’action dans le Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté. Le rôle du tourisme dans la lutte contre la pauvreté n’est pas visible.

Tout ceci confirme l’hypothèse que le secteur du tourisme semble être piloté à vue et que son développement durable n’est pas planifié et intégré à la dynamique nationale de développement durable. Au lieu de s’enfermer éternellement dans des Plans Marketing, l’heure est maintenant arrivée pour le secteur du tourisme sénégalais de définir, à travers des études plus concrètes, un concept opérationnel pour le tourisme durable. Cette étude devrait permettre d’obtenir une batterie d’indicateurs du tourisme durable intégrant les différentes approches mondiales (OMT, AFIT, etc.).

Ainsi, la synergie tourisme et autres secteurs de l’économie nationale serait assurée et visualisée. Les études menées récemment au Mozambique et dans les Caraïbes sur le développement durable du tourisme international montre qu’aucun pays, notamment en développement, ne peut plus se passer de la planification stratégique du secteur du tourisme. Notre pays en ferait-il l’exception ?

*Economiste-Financier, ministère de l’Education
Email : paul_faye@hotmail.com


PAUL FAYE
Le Soleil - 21.06.03

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